Invitée par le Centre de Recherche et d’Information Nutritionnelles (CERIN) à un symposium sur le thème des produits laitiers et de leur impact sur la santé osseuse, j’ai pu endosser à nouveau ma casquette de scientifique toujours aussi intéressée par les courants, phobies ou découvertes liées à la nutrition de nos jours. Les informations récoltées sont de toute évidence issues de groupes de recherche plutôt favorables au lait. Pour autant, la conférence de presse à laquelle j’ai pris part a permis de confronter l’avis de certains journalistes incrédules à celle des chercheurs exposant leurs résultats. Cet article se veut être une retranscription des propos recueillis et de leur éventuelles oppositions, conclu bien évidemment par un avis d’ordre très personnel au sujet de ce courant « anti-lait » indéniable, notamment au sein des populations sportives.
Alimentation ou culte alimentaire ?
L’alimentation a ce pouvoir de permettre la vie mais à mesure que le grand public s’informe (à tort ou à raison) de plus en plus et de plus en plus vite à travers les media et le web, il semblerait que son rôle ne soit plus seulement physiologique. Alors que les principes de base de l’alimentation semblent logiques: ne pas manger des sucres à longueur de journée, ne pas grignoter entre les repas (sinon à quoi servent les repas ?), s’arrêter quand on n’a plus faim, ne pas s’affamer quand on a besoin de manger, ne pas exclure radicalement certains aliments ni virer à la mono diète, aller spontanément vers une certaine diversité alimentaire, rien qu’en variant les couleurs, les goûts, les textures, ne pas s’obstiner à faire du sport à jeun systématiquement, prendre soin de récupérer nutritionnellement après un effort, etc., l’alimentation se complexifie, voire se complique. Les intolérances foisonnent, les allergies émergent. Certains se positionnent en gourous de la nutrition sans en avoir les compétences, tant les préoccupations alimentaires ont une dimension émotionnelle fragilisante, qui incite n’importe qui à croire à n’importe quoi. S’il s’agit d’une science à la fois très simple et très complexe, je me positionne à titre personnel en place d’expérimentatrice, qui se renseigne, réfléchit et tente de diffuser avec la plus grande objectivité possible les informations recueillies. Ceci reste sans parler des tests grandeur nature que je fais actuellement sur moi-même, pour évaluer la véracité (ou non) de soi-disant intolérances alimentaires que j’aurais et qui entretiendraient une inflammation chronique au niveau intestinal et par voie de conséquence lombaire (cqfd). S’il m’est difficile à ce stade de tirer des conclusions, je pense que nos modes de vie modernes peuvent nous fragiliser et nous rendre plus sensibles à des aliments qui:
- Autrefois n’étaient pas aussi présents dans nos alimentations, donc nous y étions moins excessivement exposés (or c’est l’excès qui génère l’intolérance et non le produit lui même);
- Associés à des estomacs fragilisés (fatigue, stress, tabac, …), certains diront aussi à la pollution (?), se mettent à devenir nocifs alors qu’ils ne l’étaient pas à la base.
Produits laitiers et capital osseux: des études contradictoires
Si les études scientifiques parfois (souvent?) se contredisent, particulièrement en matière de nutrition, c’est bien parcequ’il n’y pas toujours de lien de cause à effet évident entre un aliment et des symptômes. Les maladies observées sont souvent multifactorielles et rendent les études épidémiologiques complexes à interpréter.
Étude suédoise « anti-lait »
L’étude suédoise récente de Michaëlson et al. « Milk intake and risk of mortality and fractures in women and men cohort studies » conclut que les femmes, très grosses consommatrices de lait (600 mL par jour et plus) ont une augmentation du risque de fractures. Mais comment expliquer que l’on ne retrouve pas ce lien chez les hommes et que la consommation de yaourts, lait fermentés et fromages est associée à une diminution significative du risque de facture ?
Étude bordelaise « pro-lait »
A l’inverse de l’étude précédente, l’étude de Samieri C, et al. « Nutrient patterns and Risk of fracture in older subjects: results from the Three-City study. Osteoporosis International 2012″ montre qu’une alimentation caractéristique du sud-ouest, riche notamment en fromage, lait et charcuterie est significativement associée à un plus faible risque de fractures, mais qu une alimentation de type méditerranéen riche en fruits et légumes et relativement pauvre en produits laitiers double le risque de fracture du col du fémur.
L’ostéoporose: une maladie incapacitante et coûteuse
En Europe, l’ostéoporose concerne plus de 22 millions de femmes de plus de 50 ans et 5,5 millions d’hommes au total. Le nombre de fractures du col du fémur, de fractures-tassements vertébraux ou de l’extrémité inférieure de l’avant-bras se comptent en dizaines de milliers chaque année, rien qu’en France. Les 2/3 des sujets touchés étant des femmes. Finalement, compte tenu de l’espérance de vie de nos sociétés occidentales, les projections font état de près de 100 000 fractures du col du fémur par an en France soit au delà de l’incidence sur la qualité de vie et le bien-être des individus, un coût de 6 milliards d’euros pour le pays.
Produits laitiers vs ostéoporose: un moyen préventif sûr ?
Le Professeur J.Y. Reginster, conférencier du jour (Professeur au département d’
Les mesures préventives seraient donc particulièrement efficaces à long terme au début de la vie. Le Professeur Reginster évoque même très précisément « une diminution des coûts de la santé liés à l’osteoporose de 20% avec une consommation de 3 à 4 produits laitiers par jour« .
Pour autant, il existe plusieurs facteurs favorisant les risques d’ostéoporose. Le patrimoine génétique en est un, incluant la biomécanique de l’individu: les populations asiatiques ont en effet moins de fractures du col du fémur en raison d’un angle fémoral différent i.e. moins propice à la rupture; l’exposition ou non à la vitamine D intervient également; la sédentarité jouerait elle aussi en faveur de pathologies osseuses.
Quelles contestations ? Quelles recommandations ?
Face aux interventions du public sur le fameux sujet de l’intolérance au lactose, le Professeur Reginster a cité que seuls 6 à 10% des adultes avaient de véritables signes cliniques avérés; 30 à 50% ayant une mauvaise tolérance. Cette tolérance augmentant avec la consommation de produits laitiers et à l’inverse, diminuant en les supprimant de son alimentation. Quant aux fromages et aux yaourts, ils contiendraient eux même de la lactase, la fameuse enzyme chargée de digérer le lactose, et ne devraient en théorie pas provoquer d’intolérances, à moins qu’il y ait une intolérance aux protéines de vache (et non au lactose), ce qui a priori ne toucherait que certains nourissons et pas la population adulte.
Les recommandations prononcées par le Professeur Reginster au nom des communautés scientifiques favorables aux produits laitiers, se résument ainsi en 2 points clés:
- Cela se résumerait en 150mL de lait, 1 yaourt et 30g de fromage par jour à titre d’exemple. Certains aliments (des eaux même) contiennent également du calcium, mais plus que leur teneur en calcium, sa biodisponibilité s’avère essentielle.
250mL de lait contiennent par exemple 300mg de calcium absorbés au tiers, soit 90mg restant pour assimilation. - 550g de brocolis contiennent également 300mg de calcium, absorbés au tiers, soit 90mg restant pour assimilation.
- 150g d’épinards contiennent eux aussi 300mg de calcium, absorbé à hauteur de 5% soit 15mg restant au final pour l’organisme.
L’activité physique est essentielle au renforcement du squelette et le fait qu’elle soit menée en extérieur augmente les plages d’exposition à la lumière naturelle donc la synthèse de vitamine D, si essentielle à l’assimilation et fixation du Calcium.
Bilan et avis
Au vu de cette conférence et des différentes thématiques abordées, mon point de vue reste relativement stable sur le sujet des produits laitiers. Plusieurs journalistes ont fait part de ces lecteurs qui partagent l’arrêt de douleurs inflammatoires ou une baisse de fatigue, problèmes digestifs et autres maux à l’arrêt du lait. Etant issue d’une famille de médecins très ouverte à l’empirisme et à ce que vivent les patients, je pense cependant que tout ce qui est vécu à l’échelle individuelle ne doit pas être extrapolé en vérité absolue trop vite. L’empirisme permet de se poser des questions et de commencer à lancer des pistes d’étude pour éventuellement contredire (en le démontrant scientifiquement) ce qui a pu être déclaré pendant des années. Très concrètement au sujet du lait, il me semble évident que tout le monde n’a pas la même quantité de lactase et que les doses acceptables diffèrent d’une personne à l’autre. c’est le principe d’une intolérance: tout dépend de la dose et de la fréquence. Je suis persuadée que l’éradication totale des produits laitiers est une erreur. Je pense en revanche que chacun doit savoir quelle dose lui convient, en fonction de ce qu’il observe comme signes significatifs d’intolérance. Les études montrent que la plupart des gens peuvent consommer 12g de lactose (soit 1/4 de litre de lait) sans troubles digestifs.
Cela n’est pas votre cas ? essayez de réduire les doses, de les fractionner, d’éviter les produits laitiers à jeun, de privilégier les yaourts et les fromages affinés qui ne contiennent pas de lactose mais il me semble important de ne pas tout supprimer d’un coup et surtout, d’éviter de vouloir convaincre la terre entière qu’un aliment qui ne nous convient pas à nous, personnellement est intégralement et sans nuance mauvais pour tous.
Vous pourriez passer à côté de bénéfices certains, même si vous ne les constaterez qu’à long terme.

